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"Soigner par les pierres" : que penser des vertus et promesses de la lithothérapie ?

Publié le 4 avril 2023 à 18h41, mis à jour le 5 avril 2023 à 19h19

Source : Sujet TF1 Info

Les adeptes de la lithothérapie prêtent aux pierres de multiples vertus et la capacité de soigner.
Les Vérificateurs se penchent aujourd'hui sur cette pratique, qui ne figure pas parmi les médecines dites "conventionnelles".
La suite d'une série en partenariat avec l'Inserm sur les pratiques et techniques médicales alternatives.

De nombreux Français sont attirés par des médecines alternatives, que l'on qualifie parfois de "douces". Des pratiques en marge d'une médecine "conventionnelle" auxquelles TF1info a déjà consacré plusieurs articles, que ce soit au sujet du jeûne, de la naturopathie ou encore du crudivorisme. Une série qui se poursuit aujourd'hui avec un gros plan sur la lithothérapie, qui prête notamment aux pierres et cristaux des pouvoir de soin.

Des pierres aux pouvoirs ancestraux ?

Construit à partir de termes issus du grec ancien, le mot lithothérapie désigne le fait de prodiguer un soin par le biais des pierres. Les (très nombreux) sites qui en font la promotion en ligne n'hésitent pas à faire remonter son origine à plusieurs millénaires. L'usage récurrent des pierres au néolithique dans la vie quotidienne, de manière utilitaire ou décorative, est par exemple cité, sans qu'un usage thérapeutique puisse être formellement attesté. Dans le même temps, de multiples sources font référence à l'usage des minéraux dans l'Égypte antique ou dans d'autres civilisations. 

Contrairement à d'autres médecines non-conventionnelles, la lithothérapie ne se revendique pas de figures tutélaires, qui auraient accompagné son développement ou assuré sa promotion. Si la naturopathie ou le jeûne se sont répandus largement à partir du début du XXe siècle, c'est généralement avec le mouvement New Age (dans le courant des années 1960) que l'usage des pierres à des fins médicinales s'est étendu. Le terme même de lithothérapie semble ainsi assez récent, popularisé au cours des dernières décennies. 

Les plateformes qui présentent la lithothérapie proposent souvent la vente de diverses pierres aux multiples vertus. Elles peuvent ainsi, apprend-on, "être mises à contribution pour guérir" des maux tels que : "problèmes digestifs, stress, troubles hormonaux, douleurs articulaires, troubles émotionnels, baisses d’énergie, troubles du sommeil, cauchemars" ou encore "migraines". D'autres sites évoquent quant à eux la capacité de "prévenir ou à apaiser la tension ainsi que les problèmes liés aux artères". Puisque chaque pierre est censée disposer de propriétés distinctes, des listes très détaillées proposent de lister les gemmes et leurs attributs. Leur rareté et leur prix varient, de quelques euros à plusieurs centaines.

Un vrai business des pierres ?

En France, la lithothérapie n'est pas une discipline encadrée. Aucun cursus ni diplôme n'est requise pour exercer ce métier, même si des formations onéreuses sont proposées, moyennant plusieurs milliers d'euros. L'auto-formation est souvent pratiquée, à l'aide des nombreux ouvrages proposés sur le marché. Outre les sites spécialisés, dédiés aux pierres et à leurs hypothétiques vertus, on trouve aussi une offre assez vaste chez de grandes enseignes culturelles, telles de la Fnac ou Cultura. 

Du côté de Cultura, justement, on explique à TF1info proposer "des pierres de lithothérapie depuis une dizaine d’années" que ce soit dans les magasins de la marque ou en ligne. "Nous avons en quelque sorte un temps d’avance par rapport à cette tendance", nous confie-t-on. L'enseigne remarque "une évolution à la hausse du nombre de fournisseurs de pierres, parfois aux dépens de la qualité et de la traçabilité des pierres", ce qui conduit à une vigilance particulière et à privilégier "un plus petit nombre de références pour s’assurer de l’authenticité de la qualité" des produits proposés aux clients. Des clients que Cultura décrit comme "plutôt grand public" dans ses rayons dédiés à la lithothérapie. Cette dernière est aujourd'hui décrite comme "l'un des 'métiers' les plus importants du secteur épanouissement personnel" par l'enseigne.

L'engouement pour cette médecine "alternative" s'observe sur les réseaux sociaux, autour de mots-clés utilisés plusieurs centaines de milliers de fois et d'influenceurs aux milliers d'abonnés, vantant les bienfaits des pierres. Des célébrités comme Kim Kardashian ou Gwyneth Paltrow ont également fait la promotion de cette "tendance new age", telle que décrite par le quotidien britannique The Guardian. Le média rapporte qu'aux États-Unis, "la demande de cristaux et de pierres précieuses étrangers a doublé" entre 2016 et 2019 au cours des trois dernières années, tandis que doublaient les importations de quartz en l'espace de 5 ans. Interrogé, un distributeur de cristaux a confié que les marchands haut de gamme réalisaient "un chiffre d'affaires annuel d'environ 500 millions de dollars". Si l'on ajoute le bas de gamme, "il s'agit d'un secteur très rentable qui pèse plusieurs milliards de dollars". Une tendance globale, loin de se limiter aux frontières de l'hexagone.

Qu'en dit la science ?

Si la lithothérapie semble en vogue, que peut-on dire de son efficacité ? Ingénieure de recherche à l’Inserm, Caroline Barry fait partie du Centre de recherche en épidémiologie et santé des populations, le CESP. Elle met d'emblée en avant le fait que dans la littérature scientifique, rien ne permet aujourd'hui d'attester de quelconques bienfaits des pierres sur la santé. Si certains sels minéraux sont importants pour l’organisme – comme le sodium dans le sel de table –, pour les quartz, améthystes et autres obsidiennes, les études manquent.

La chercheuse souligne que les médecines "non-conventionnelles" ou "alternatives", qu'elle préfère nommer "complémentaires" sont souvent complexes à évaluer "car elles impliquent l'interaction de plusieurs éléments et ne se limitent pas à l'ingestion d'une molécule comme dans un médicament". La lithothérapie, en revanche, "n'est pas dans ce cas : la pierre est censée être efficace sans autre action que sa présence". Il serait donc en théorie possible d'en évaluer les potentiels bénéfices grâce à des "essais cliniques contrôlés randomisés, utilisant une fausse pierre en contrôle". Outre une cohorte suffisante, il serait nécessaire de garantir que "ni le patient, ni les soignants qui interagissent pendant l’étude avec lui, ni l’évaluateur à la fin ne sache qui a été ou non en contact avec la vraie pierre". Des études de cette nature "seraient simples, mais coûteuses", résume Caroline Barry, ajoutant que contrairement à d'autres médecines complémentaires, la lithothérapie n'a fait l'objet que d'un intérêt quasi anecdotique de la recherche. 

Les énergies et autres "chakras" auxquelles seraient prétendument associées les pierres n'ont pas davantage été documentés de manière rigoureuse. "C’est grotesque", tranche le directeur de recherche au CNRS et spécialiste en minéralogie Christian Chopin. Au Figaro, il explique que "le monde minéral est caractérisé par son inertie : à la différence du monde vivant, il ne produit pas spontanément d’énergie (hormis les substances radioactives...). Vouloir parer les minéraux d’'énergies bénéfiques' ou d’une quelconque vertu thérapeutique par l’effet d’ondes spécifiques est du charlatanisme. Il n’y a tout simplement aucune interaction possible entre les cristaux et le corps humain."

Un "effet doudou" malgré tout ?

Caroline Barry estime que la lithothérapie, à l'instar d'autres médecines complémentaires, n'a pas à être rejetée en bloc si celle-ci ne se substitue pas aux traitements conventionnels. Et souligne que des études, aux États-Unis en particulier, "ont été bien documentées et ont mis en avant que le recours à l'acuponcture, lors de chimiothérapies, pouvait s'accompagner de baisse des nausées". La spécialiste précise d'emblée : "En aucun cas, ça ne soigne le cancer, attention. Mais certaines médecines complémentaires peuvent aider à traverser des effets secondaires." La lithothérapie, pour la représentante de l'Inserm, se situe "dans une frange très éloignée" des pratiques médicales alternatives, mais elle n'exclut ni un potentiel effet placebo, ni que cela puisse chez des patients convaincus "aider à diminuer le stress, comme le ferait un doudou..." Tout l'enjeu, dès lors, est de "pas payer une fortune et de pas se détourner de son traitement". 

La chercheuse rappelle que "de nombreuses pathologies sont accentuées par le stress", et que trouver un moyen de le réduire pourrait se traduire positivement sur la santé d'un patient. L'anxiété accentue notamment "les douleurs chroniques, les lombalgies ou encore les migraines", précise-t-elle.

Gare aux dérives

Des médecines complémentaires telles que la lithothérapie font courir le risque d'un éloignement de la médecine conventionnelle chez des patients fragiles ou atteints de pathologies graves. "Quand on s'est penché avec l’Inserm sur plusieurs de ces médecines complémentaires", note Caroline Barry, "nous sommes allés à la rencontre des organisations professionnelles" qui rassemblaient les thérapeutes. Or, aucune instance de cette nature n'encadre ou accompagne la lithothérapie, ouvrant la porte à des dérives et au charlatanisme. Dans la littérature aussi, il faut se méfier des messages trompeurs. TF1info avait par exemple constaté en 2019 qu'un ouvrage traduit de l'anglais et proposé en ligne par des plateformes de vente renommées laissait entendre qu'une pierre (la nébulastone) pouvait aider à "traiter l'herpès, la bronchite et le syndrome d'immunodéficience acquise (SIDA)". Des affirmations totalement fausses.

Dans un autre contexte, des médecins ont aussi mis en avant la dangerosité des colliers d'ambre, souvent donnés au bébés puisqu'on leur prête la capacité de soulager les douleurs liées à la pousse des dents. Outre le fait que l'ambre n'a jamais prouvé une quelconque action antidouleur, le risque d'ingestion ou d'étranglement est majeur. La presse a rapporté des cas de décès de bébé, à cause de ces colliers, tandis que des médecins multiplient les mises en garde.

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Thomas DESZPOT

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